A propos de la montagne ... Relief, altitude & géomorphologie

mercredi 1 février 2006

Vers une approche plus globale de nos pratiques en montagne...

Texte paru dans la revue de l'association Mountain Wilderness France en 2005

Il est évidemment indispensable de sensibiliser tous les adeptes de la montagne à des pratiques plus respectueuses de l'environnement. Toutefois, la protection de la montagne passe également par une réflexion personnelle sur le pourquoi et le comment de notre fréquentation de ce milieu. En effet, notre présence dans la ‘wilderness’ génère des perturbations, directes et locales, mais aussi, et plus difficiles à cerner, des nuisances indirectes et parfois extrêmement éloignées dans le temps et dans l’espace.
Ce texte, qui occulte l'influence positive de la montagne sur nous et se veut donc volontairement « terre-à-terre », vise simplement à attirer l'attention sur une vision plus globale de nos discours, et, au-delà, de nos pratiques, même quand on les imagine écolo...

Chacun de nous est conscient du paradoxe flagrant entre une volonté de vivre des moments intenses dans une nature préservée et les problèmes que pose la surfréquentation de ce milieu. Au-delà de la réponse élitiste que certains semblent apporter à la question (seuls les « purs », ceux qui ne sont pas des moutons comme les autres, ceux-là peuvent jouir de la montagne), il faut resituer les pratiques actuelles de la montagne dans leur contexte.
Si les échanges de biens, de personnes, de savoirs, d’idées …, ont toujours été intenses entre les montagnes et les espaces périphériques, depuis quelques décennies les flux ont atteint des dimensions nouvelles. A un niveau local ou régional, les interdépendances entre la majorité des personnes vivant en milieu urbain et les rares ‘montagnards’ sont très fortes, aussi bien du point de vue économique, que social ou politique. Cependant, l'élévation de nos niveaux de vie et l'explosion des pratiques de loisirs se sont également accompagnées d'une complexification démesurée des circuits de production sensés combler nos besoins, et qui mobilise généralement une gigantesque chaîne d’acteurs que seule la mondialisation des échanges a permis.
Nous sommes donc passés de pratiques aux conséquences locales, à des pratiques aux conséquences globales.
Ainsi, pour prendre un sujet qui nous concerne tous, on oublie trop souvent que nos déplacements, essentiellement basés sur la voiture, sont une source de nuisances, directes et indirectes bien plus considérable que la simple perturbation du milieu naturel. Pollution atmosphérique, défiguration des paysages, dépendance au pétrole, sont des maux dont nous sommes tous en partie responsable dès que nous prenons notre voiture. Ce problème illustre parfaitement le visage schizophrénique de nos pratiques, qui en conscientise parfaitement certains aspects très visibles, mais en occulte d’autres dès lors qu’ils sont plus difficiles à percevoir … et qu’ils remettent fondamentalement en cause nos modes de vie et de pensée.
De plus, ce mode de transport transforme quasi-inconsciemment dans notre imaginaire des espaces qui n'ont ni plus ni moins de « valeur » que d'autres, en lieu mono-fonctionnels, couloirs de transit dépourvus de vie et de sens. Il n'y a qu'à songer à certains villages de basse vallée : Rioupéroux, Livet et Gavet dans la Romanche en sont des exemples flagrants, territoires désespérants, vidés de leur matière pour nous, pratiquants de la montagne, pressés d'arriver dans ces fameux espaces vierges. Est-il juste cependant de sacrifier ces espaces, que d'autres considèrent comme leur pays, leur terre et l'apprécient tel quel, simplement pour « faire de la montagne » ? Mais qui « fait » de la montagne ? Celui qui produit ou celui qui consomme ? Il y a sans doute là toute une géographie mentale à revoir, des rapports au temps et à l'espace à reconsidérer…

On le voit bien, les conséquences de nos pratiques dépassent largement notre cadre de vie, ou l'espace que nous aimons fréquenter. En outre, nos actes sont de plus en plus motivés par des besoins qui doivent être satisfaits « à court terme », ce qui conduit à un fractionnement du temps et de l’espace incompatible avec une approche globale du problème. Par conséquent, un discours et une réflexion réellement pertinents sur la préservation des espaces naturels doivent aussi inclure des questionnements personnels sur les raisons et les conséquences de nos passions. Est-ce que l'on n'apprécierait pas d'autant plus la montagne que l'on n'y va pas trop souvent ? Est-ce que fuir un quotidien urbain malsain, chercher à se dépasser, découvrir des gens et des lieux justifient toujours de passer outre ces désagréments proches et lointains ? Il n'est pas suffisant de penser écolo une fois là-haut, le « reste », ce qui environne, mérite aussi toute notre attention. Notre volonté de réduire nos impacts sur l'environnement doit concerner aussi bien le local, c'est-à-dire la montagne, que le global, c'est-à-dire la vallée, la région, la Terre. Peut-on se satisfaire de protéger un milieu en en détruisant d’autres ?
Il nous faut donc remettre à niveau discours et pratiques, en les envisageant sous l'angle, difficile mais honnête, des conséquences globales de nos activités locales et de notre mode de vie. A partir de là, on peut, on doit s'interroger sur les raisons qui nous poussent à fréquenter la montagne… Bien sûr, personne ne peut en juger pour autrui, et chacun, à son niveau, peut avoir sa réponse personnelle, avec des implications plus ou moins importantes pour la société, l'important étant déjà de prendre conscience du problème et de modérer nos impacts.

Et, pourquoi pas, décider de réduire notre influence en se rendant moins souvent en montagne, en privilégiant les modes de transports doux et collectifs, ou même en s'y installant carrément et en faisant réellement vivre la montagne, bref en utilisant l'imagination pour apporter des alternatives réalistes à un problème complexe, et en préférant la qualité à la quantité.

Aussi difficile que cela paraisse au premier abord, nous devons tous admettre que notre mode de vie est intrinsèquement générateur de déséquilibres sociaux et environnementaux. Si l’on souhaite que les générations futures vivent heureuses dans un monde juste, « les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain », nous devons réfléchir et agir maintenant. Il nous faut repenser notre place, notre rôle et notre devoir d'individus raisonnés, correctement informés et conscients des conséquences de nos actes, aux niveaux local et global.